LRH : Bonjour Philippe Oloncourt, vous êtes connu pour vos recherches historiques sur le XVIIIe siècles et notamment pour vos parutions sur l’évolution des mœurs et coutumes par strate géoéconomique, pourquoi vous intéresser à l’histoire de Blanche et Toumaï ?.
PO : Bonjour, tout d’abord j’aimerai qu’on comprenne que mes recherches sur la fuite de ce couple mixte n’est qu’une toute petite partie de mes centres d’intérêt pour le XVIIIe siècle. Elle est même carrément anecdotique en regard de nos recherches sur l’ensemble du XVIIIe siècle. Je rappelle aussi à vos lecteurs que je poursuis ces recherches avec Geneviève Sinard. Je dirai que c’est essentiellement un phénomène de mode qui a mis en avant cette recherche d’ailleurs très incomplète et à nos yeux bien moins intéressante par exemple que les mouvements Vendéens prérévolutionnaires ou l’émergence des métiers usuriers vers le milieu du 18e et leurs répercutions sur le climat économique qui conduit à la faillite du pouvoir royaliste aux yeux des commerçants Bourgeois.
LRH : Comment avez-vous vécu les accusations de certains groupuscules extrémistes qui vous ont accusé de travestir la relation entre Blanche du Beauprès et Toumaï son esclave ?
PO : Encore une fois, nous avons été totalement pris au dépourvu, nous ne pensions même pas que nos recherches intéressaient un pareil public. Nous ne romançons rien, nous sommes des chercheurs, nous n’avons fait que retranscrire des extraits de lettres et de procès-verbaux de l’époque, ou l’on voit clairement que Toumaï et Blanche était épris l’un de l’autre. À mon sens, cela montre surtout qu’au XXIe siècle la mixité amoureuse, semble poser encore des problèmes.
LRH : On vous a lu récemment réagir vivement à propos de la piste de Tarifa.
PO : Oui, j’ai juste jugé utile d’intervenir sur le blog de l’institut de recherche Historique de la Rochelle, à propos des commentaires qui étaient faits sur la clôture de la piste de Colette de Villécourre , que nous avons pris pendant un temps, à tort avec Geneviève comme la piste de Blanche. C’est d’ailleurs une histoire assez passionnante et tragique concernant une jeune fille de bonne famille qui était secrètement une enfant illégitime, un des frère étant tombé amoureux d’elle rendit publique le fait qu’ils n’étaient pas frère et sœur et pouvaient donc se marier. Aussitôt elle fût répudiée, le jeune frère se suicida et la jeune fille commença une errance qui la conduisit des côtes Atlantiques jusqu’en méditerranée, elle fut tour à tour courtisane, simple prostituée, mendiante et même « bandit de grand chemin » ce qui lui valut d’être poursuivi par la garde Espagnole. Geneviève avait trouvé la mention d’un jugement suivi d’un emprisonnement dans une gazette Ibérique, apparemment à l’extrémité de la péninsule, de là est partis toute une polémique sur le fait que Blanche et Toumaï seraient passés sur le continent Africain pour que l’esclave puisse retrouver ses racines etc… Malgré la publication de nos recherches, ou à cause, on nous a taxé de menteur, de cacher la vérité, c’était hallucinant, Geneviève s’est même fait insultée lors d’une émission régionale, le service de sécurité a dû intervenir.
LRH : Vous reprochez à certains de « passionner » le débat.
PO : Oui tout à fait, d’ailleurs pour nous historiens, il n’y a pas de débat, juste des hypothèses que nous tentons de vérifier. Mais il est certains que beaucoup injectent une énorme dose d’affectif dans cette histoire et préfère croire en leurs fantasmes qu’aux vérités forcément « moins spectaculaires ». C’est d’ailleurs pour cela qu’Eve Carion a dissous les associations liées à cette recherche.
En fait pour en discuter souvent entre nous, la principale crainte que nous ayons est de transformer un fait historique en mythe, en légende et c’est ce qui est, malheureusement en train d’arriver à « l’anecdote historique » que constitue l’histoire de cette jeune noble poursuivie pour meurtre tombée amoureuse de son esclave. On voit un nombre inouï d’apocryphes apparaître jusqu’à nos jours et les discussions, reportages et écris qui continuent encore aujourd’hui vont encore plus brouiller la vérité historique.
LRH : Vous faites allusions aux projets de feuilletons par TF1.
PO : entre autres oui, sachant qu’aucun historien compétent n’a été consulté par la chaîne, je me permets d’émettre quelques réserves.
LRH : On parle d’Harry Roselmack et de Virginie Elfira pour les rôles.
PO : Oui, je ne sais pas, ils parlaient aussi d’un footballeur et d’une ex-star du porno…
LRH : Clara Morgane.
PO : Peut-être, pour être franc, je m’en fous, ça ne m’intéresse pas, j’ai un étudiant qui m’a montré, il y’a peu une bd aussi, bourrées de fautes historiques, l’esclave n’avait même pas de perruque.
LRH : Vous l’avez lu ?
PO : Non, je n’ai pas trop de temps et je ne lis pas de bd, j’ai un peu passé l’age. Mais pour Geneviève et moi, l’actualité ne devrait pas avoir d’influence sur nos travaux et nous avons suffisamment de matériel à défricher, la littérature est déjà très abondante surtout au milieu du 19e où l’on voit clairement le « mythe Blanche et Toumaï » prendre corps.
LRH : c’est tout de même une forme de reconnaissance d’être ainsi mis en avant par les médias « populaires ».
PO : Honnêtement ça ne me fait ni chaud ni froid, Geneviève qui est plus photogénique que moi se serait bien passée par exemple de l’émission de Ruquier où on lui demandait la taille du sexe de Toumaï, ces grivoiseries ont d’ailleurs agacé des fans qui le lendemain se sont rendus à l’appartement de l’animateur pour manifester. Je ne sais toujours pas laquelle des deux attitudes est la plus navrante.
LRH : Il a été sévèrement molesté à ce qu’il paraît, mais tout de même il y’eu un très beau Théma sur Arte ou vous apparaissiez en compagnie de Yamina Nekaz et Eve Carion.
PO : Oui, j’avoue que certains font des émissions plus respectueuses de nos recherches, et nous laisse nous exprimer, même Thalassa nous a permis à plusieurs reprises de développer nos thèses, notamment dans le spécial « les amants interdits » du mois d’Octobre 2002, même s’ils privilégiaient la piste « maritime » alors que nous savons à présent qu’ils ont voyagé à cheval.
LRH : A ce propos des bruits court que vous seriez sur une piste « Turque ».
PO : Une piste Ottomane, mais nous avons bien d’autres pistes, nous ne communiquerons pas là-dessus, nous avons été clair avant cette interview.
LRH : sur le site de la faculté d’Histoire de Paris, on dit que vous auriez même pensé à l’Australie.
PO : Vous voyez c’est typique de ce sujet, c’est du grand n’importe quoi, et, à côté par exemple, on ne cite pas certaines découvertes très intéressante.
LRH : par exemple ?
PO : Et bien par exemple Jacques Hénin, qui a fait une thèse capitale pour nos recherches en recoupant son travail avec celui de Maximo Inervo et son groupe d’étude Italien ont mis en évidence que Yann Trévien aurait croisé la route de Colette de Villécourre et l’aurait accompagné quelques années, ils ont sans doute eu une liaison.
LRH : et ?
PO : bah, rien, ce n’est peut-être qu’une coïncidence, mais elle est peut-être révélatrice de quelque chose. Non, remarquez ne publiez pas ce que je viens de vous dire, ça va encore faire des histoires, les passionnés vont se jeter là-dessus et demain ce sera n’importe quoi.
LRH : Pour conclure, qu’ont donc apporté les recherches sur Blanche et Toumaï ?
PO : Un nouvel éclairage sur l’aspect social des esclaves noirs au sein des sociétés blanches, à priori on doit nuancer l’image que l’on avait de l’esclave Africain, celui-ci maîtrisait sans doute la langue de ses maîtres, surtout la deuxième génération bien souvent née dans la société des esclavagistes, on peut aussi imaginer sans peine qu’ils devaient croiser aussi la culture et les idées de leurs maîtres, autrement dit on doit revoir l’image du noir idiot et inculte qui parle un langage approximatif, impressionné et craintif, c’était un être humain conscient, une évidence, mais que l’on doit rappeler. En plein XVIIIe siècle Toumaï était très conscient de l’horreur de sa situation et du paradoxe social qu’il représentait au sein de la société occidentale bien pensante et croyante. En fait une bonne partie de la polémique autour de Blanche et Toumaï vient du fait qu’on la considère par le prisme des restes de ce que j’appelle la pensée coloniale. Du côté de Blanche, je sais qu’une fois encore je vais faire grincer des dents, mais il ne faut pas réduire la relation qu’elle a avec Toumaï uniquement à une romance. Eve Carion a montré que Blanche avait lu quelques classiques féministes, je suis convaincu que ce qui l’a rapproché de Toumaï est autant une attirance amoureuse qu’une ressemblance dans leurs conditions réciproques. Deux opprimés qui ont tenté de fuir ensemble, c’est cela l’histoire de Blanche et Toumaï, c’est un sujet très contemporain, et qui malheureusement n’est pas près de se démoder.
Propos recueillis par Elise Pontin et Arnaud Calliste pour La Recherche Historique, revue universitaire du 21 juin 2009 à Caen.